vendredi 19 octobre 2012

L'ouverture du marché de la distribution, ou la peur de l'inconnu




Les épiciers ont peur. Peur de l'inconnu, peur de l'étranger, peur de la concurrence déloyale. Et on peut les comprendre. Depuis des générations, ils tiennent le même commerce, vivent souvent derrière les murs de leur boutique, dans des conditions précaires à cause du manque d'espace dans cette ville surpeuplée de Bombay. Frères, cousins et grands-pères ont tous contribué à faire de ces murs leur unique, et si fiable moyen de subsistance. Alors les épiciers, comme souvent, ont peur du changement. Surtout quand celui-ci porte des noms étrangers.

Cette ère nouvelle a débuté le 14 septembre dernier, quand le gouvernement a annoncé l'ouverture du commerce de détail aux investissements étrangers. Les multinationales de la grande distribution, comme Carrefour, Auchan et autres Wal-Mart, sont à présent autorisées à ouvrir leur propre supermarché de détail, et à en détenir jusqu'à 51% du capital - le reste doit l'être par un partenaire indien. 

Le gouvernement avait déjà essayé de lancer cette grande réforme, en novembre 2011, mais la pression de l'opposition et des bruyants syndicats de commerçants avait réussi à le pousser à faire marche arrière. Cette fois-ci, malgré le remue-ménage provoqué par une grève générale d'un jour, New Delhi a tenu le choc. Et la réforme est passée. 

Tout le monde essaie à présent de se projeter, afin de savoir à quoi ressemblera cette nouvelle ère des supermarchés. Et pour cela, il nous faut d'abord regarder autour de nous. L'Inde est aujourd'hui un pays de petits commerçants : 93% du marché de détail est détenu par ces "kiranas", les épiceries indiennes élevées en institution. Le kirana pourrait être comparé à une caverne d'Ali Baba des temps modernes, tenue par la troupe du Cirque du Soleil ; un petit espace, surchargé de marchandises, depuis le sol, au pied du comptoir, jusqu'au plafond, et même au-delà, où le fils le plus mince et agile de la famille ira vous chercher votre masala spéciale du Kerala pour agrémenter la sauce de votre poulet. 

Le service offert par le kirana est légendaire, et sans limites: cette épicerie est ouverte à toute heure, vous fait crédit, et vous livre gratuitement, sur un simple coup de fil, même si ce n'est que pour un pot de "dahi" (lait caillé). 
Cependant, le produit que vous recevrez ne sera pas toujours bon marché, et se révèlera même parfois d'une fraicheur douteuse. "On trouve parfois des vers dans la farine", affirme ainsi une femme de 40 ans.   

Et c'est là que le bât blesse parfois. Car dans ce bordel organisé que représente le système de distribution indien, il y a beaucoup de pertes, et peu d'investissements dans les infrastructures : 40% des fruits et légumes, par exemple, sont perdus lors du transport, à cause de l'absence de chaîne de froid. Or de tels camions frigorifiques sont bien trop coûteux à louer ou acheter pour les petits acteurs qui composent aujourd'hui le réseau. Le gouvernement, pour convaincre de l'intérêt de cette réforme, a donc imposé aux multinationales qui veulent pénétrer ce marché d'investir au minimum 100 millions de dollars en Inde, dont la moitié dans ce genre d'infrastructures. 

Mais surtout, cette ouverture était nécessaire en termes purement économiques : l'Inde compte aujourd'hui l'économie la plus hermétique aux investissements étrangers parmi les grands pays émergents du BRIC. La Chine communiste, par exemple, a déjà ouvert son marché de la distribution depuis 20 ans... Or, l'Inde commence à pâtir sérieusement de ce patriotisme économique excessif : les investissements directs étrangers ont ainsi plongé de 67% sur le premier trimestre 2012. Et son PIB devrait tomber à moins de 5% cette année, contre 8% en 2011, si l'on en croit les prévisions du FMI. 

Pour continuer cette visite dans le monde des petits commerçants indiens, et découvrir ce qui pourrait arriver à nos chers kirana une fois que Carrefour aura ouvert ses premiers supermarchés, je vous invite à regarder ce diaporama, et écouter ce Grand Reportage... dans lequel certains n'ont pas peur de parler de tsunami ! Qui a dit que les épiciers étaient des gens excessifs ?    

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